Anthony Masure

chercheur en design

Filtrer un CV scientifique ?

Résumé

La valorisation des parcours de recherche scientifique impliquent nécessairement la construction et la mise à jour d’un CV de recherche. Ce format, aux normes variables suivant les pays, institutions, jurys et bailleurs de fonds, est souvent fastidieux à mettre à jour (reformatage) et à consulter (longueur des documents). Comment améliorer cela ?

Cette réflexion prend comme source un tweet mettant en évidence des biais de recrutement dans l’enseignement supérieur en France :

@TiphaineAnna, tweet du 25 janvier 2021.

Ce tweet m’a interpellé car il serait théoriquement possible de concevoir une plateforme permettant de comparer différents CV à une même période, à un même niveau d’études, etc., et donc d’objectiver des contre-arguments à des exigences de recrutement infondées voire nuisibles – et qui entretiennent un « capitalisme de la recherche » dont l’usage d’un vocabulaire néomanagérial n’est qu’un des aspects. Il est ainsi étrange de reprocher à un·e candidat·e à un poste de recherche un manque concernant tel ou tel point de son CV alors que peu de membres de la commission remplissaient ces critères au même stade de leur carrière, voire même au moment où ils·elles sont en position de jury. Mais le CV scientifique crystallise bien d’autres problèmes et enjeux détaillés ci-dessous.

Le CV scientifique : une question de design de document

  • Il n’existe pas une seule norme de présentation (libellé des rubriques), car celles-ci sont variables suivant les pays, institutions, jurys et bailleurs de fonds. Me concernant, j’ai adopté en janvier 2021 celles du FNS suisse car c’est dans ce pays que je travaille, mais reformater entièrement mon CV pour un autre contexte serait fastidieux.
  • Certains organismes vont demander un CV au format PDF, d’autres une version en ligne et/ou à poster dans un formulaire, d’autres vont ajouter à cela une limite de pages, d’items ou de plage temporelle (le FNS, par exemple, impose de ne lister que les résultats des cinq dernières années pour ne pas défavoriser les « jeunes » candidat·e·s, mais demande une version en ligne « complète »).
  • Suivant les organismes et types de public, certains types d’activités ne vont pas être reconnues comme légitimes à figurer dans un CV, alors qu’elles peuvent avoir une grande importance, non seulement pour les chercheur·euses concerné·e·s, mais aussi pour un public élargi. Dans le champ qui me concerne, celui de la recherche en design, il reste ainsi compliqué de faire valoir des démarches de « recherche-création », encore mal comprises d’autres champs scientifiques. Doit-on pour autant les enlever des CV au profit des « traditionnels » articles, ouvrages et conférences ?
  • Pour rester sur ce thème, de nombreux bailleurs de fonds (dont le FNS) valorisent les publications en peer review (évaluation par les pairs). Bien que controversé, le peer review est sensé garantir une plus grande fiabilité que d’autres systèmes de sélection. Mais comment appliquer une telle pratique d’évaluation à des productions telles qu’un concert, une exposition, un prototype d’objet, etc. ? Que se passerait-il si l’on ne conservait que les items peer reviewed d’un·e chercheur·euse en design ?
  • Les CV scientifiques sont souvent mobilisés pour produire des indicateurs de performances basés sur le nombre d’items de telle ou telle catégorie. Cette vision quantitative de la recherche tend heureusement à perdre de l’importance au profit d’approches qualitatives comme le protocole DORA (San Francisco Declaration on Research Assessment, 2012), qui propose de mettre en avant une sélection de travaux.
  • Côté consultation, il est long et fastidieux de lire des CV scientifiques. Ces derniers, de par leur volonté d’exhaustivité, s’étalent sur plusieurs pages, sont souvent mal hiérarchisés visuellement, sont très peu souvent disponibles en ligne autrement que sous forme de PDF (mal indexés et peu « accessibles »), etc. Comment pourrait-on améliorer leur lisibilité ?
Exemple de CV demandé par l’université Paris 8 pour un jury, à remplir au format propriétaire Microsoft Word, janvier 2021.

Vers des CV de recherche sémantiques et interactifs

L’approche du « design de document », qui associe sémantique et esthétique, pourrait permettre de lever un certain nombre d’obstacles. En partant d’une liste d’items bien stucturée sémantiquement (dans le code), il est ainsi possibler de la trier et de la réorganiser dynamiquement.

J’ai essayé d’appliquer cela à mon propre site, grâce à l’aide technique du designer Julien Taquet, pour mettre en place un système de filtres par dates. Deux champs dates HTML (inputs) permettent ainsi de n’afficher que les items d’une plage temporelle donnée (année civile, académique, etc.), accompagnée d’un compteur d’éléments pour chaque sous-catégorie. L’adresse Web (URL) étant dynamiquement actualisée, cela permet de facilement partager des « vues » de mon CV, par exemple quand j’ai postulé en thèse ou en poste de Maître de conférences (MCF). L’URL https://www.anthonymasure.com/cv#2019-09-01_2020-08-31 renvoie ainsi à l’année académique 2019-2020 (pratique pour les bilans de fin d’année !).

AnthonyMasure.com, janvier 2021, exemple de CV « filtré » sur l’année académique 2019-2020.

Quelles suites ?

Ce système pourrait être amélioré de plusieurs façons :
– Placer les sélecteurs de dates dans la colonne de gauche, en position fixe (fixed), pour qu’ils soient toujours accessibles.
– Ajouter d’autres types de filtres pour afficher / masquer les items suivant d’autres critères que les dates, par exemple ne garder que les items peer review, etc. Cela aurait l’avantage de rendre visible les conséquences des choix et normes qui régissent l’évaluation de la recherche. Au lieu de faire disparaître les items, ils pourraient par exemple apparaître en gris, être barrés, etc.
– Rendre le CV imprimable, après filtrage, avec un export PDF dynamique (via Paged.js). On pourrait également configurer le fichier avant export (exemple : changer la police, supprimer un item spécifique, etc.). Cela permettrait de pouvoir paramétrer le document pour répondre à diverses exigences.

MAJ : Marcello Vitali-Rosati me signale sur Twitter l’existence d’une initiative canadienne d’un CV sémantique de recherche en XML, mais cette dernière n’a malheureusement pas donné satisfaction…