Faire savoir & savoir-faire :
le design de la recherche comme opération réticulaire


@AnthonyMasure (prof. associé, responsable de la recherche, HEAD – Genève)

Journée d’étude « Reticulum #3 – Faire savoir et pouvoir faire »
Organisation : Florian Harmand & Arthur Perret
Université Bordeaux Montaigne, 8 février 2021

Résumé

La recherche scientifique est habituellement comprise comme une production de nouvelles connaissances dans une ou plusieurs disciplines. Mais suffit-il de les produire pour qu’elles soient opérantes ? Autrement dit, les « savoir-faire » des chercheur·euses ont-ils du sens sans leur « faire savoir » ? Comment ménager légitimation, communication et valorisation de la recherche ? Nous proposons d’aborder ces questions sous l’angle de la notion de réseau, qui a pour intérêt de faciliter la vérification des connaissances (accès aux sources externes), leur réfutation, leur inscription dans des trajectoires individuelles et collectives, de même que leur compréhension pour divers publics. En se faisant non seulement archivistes mais aussi « relieurs » de leurs propres travaux, les chercheur·euses pourraient ainsi être à même de mieux les valoriser et de les (faire) comprendre.

1 –
L’utopie de la
connaissance
en réseau


Paul Otlet (1868-1944)

Paul Otlet (1868-1944)


Le Memex de Vannevar Bush (1945)

Vannevar Bush, « Comme nous pourrions penser », 1945

« L’agrégation des expériences humaines a pris une ampleur prodigieuse, et les moyens que nous utilisons pour naviguer dans ce labyrinthe de recherches sont les mêmes qu’à l’époque des galères. »

Vannevar Bush, « Comme nous pourrions penser », 1945


Le Web de Tim Berners-Lee (1990)

«  http://info.cern.ch – home of the first website », 1990

Fred Turner, Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence [2006], trad. de l’anglais par Laurent Vannini, Caen, C&F, 2012.

2 –
Conséquences de l’institutionnalisation
et de la capitalisation
de la recherche

Anthony Masure, Alexandre Saint-Jevin, « Recherche et culture libre : approche critique de la science à un million de dollars », Réel-Virtuel, no 6 « Les normes du numérique », décembre 2018

Capitalisation de la recherche
  • Privatisation du savoir (paywalls, médias audio-visuels, etc.)
  • Contamination du vocabulaire managérial
  • Publish or perish
  • Incidence des bailleurs de fonds (ANR, etc.)
Institutionnalisation de la recherche
et paradigme des sciences « exactes »
  • Incidence dans les recrutements
  • Difficulté à faire financer des projets interdisciplinaires
  • Formatage des pratiques de recherche (ex. : peu de place de la recherche-création, importance du peer review)

3 –
Promesses et limites
de l’open access


Promesses de l’open access

Lionel Maurel, « Open Access : quelles incidences de la loi ‹ République numérique › ? », 2016

Promesses de l’open access
  • Accès facilité (gratuit) aux résultats de la recherche pour vérifier les sources et la qualité des travaux, et mieux partager les connaissances (ex. : cas des études sur le Covid)
  • Archivage pérenne, contrairement aux plateformes « propriétaires »

« Open Science in the era of the Coronavirus », 2020

HAL-SHS : Anthony Masure

ArODES (CH) : Anthony Masure

Les objectifs d’ArODES
  • Améliorer la visibilité des publications des chercheurs
  • Garantir un accès stable aux travaux de recherche
  • Assurer une diffusion large et rapide des recherches menées à la HES⁠-⁠SO et dans l’ensemble de ses hautes écoles et instituts
  • Centraliser les résultats de la recherche
  • Faciliter la récolte des indicateurs liés à la recherche
  • Rendre les résultats de la recherche de la HES⁠-⁠SO accessibles sans frais supplémentaires
  • Répondre à la stratégie nationale suisse sur l’Open Access


Limites de l’open access

Limites de l’open accessTension
  • mesure (indicateurs de performance)
  • valorisation (visibilité des travaux)
Limites de l’open accessInvisibilité
  • Sites Web personnels – Peu répandus : manque d’intérêt, de temps et de compétences techniques
  • Theses.fr – Fichiers PDF non mis en ligne par les doctorant·e·s et manque d’indication des licences
  • Plateformes d’archivage (HAL-SHS, ArODES, etc.) – Fichiers non mis en ligne par les chercheur·euses par manque de temps, d’intérêt ou pour des raisons légales (contraintes des éditeurs). Impossible d’y charger autre chose que des PDF.
  • Médias sociaux – Peu propices à des formes longues

« Au final pour développer la pratique de l’Open Access, c’est le statut de ce ‹ travail des données › qu’il faudrait faire évoluer au sein des communautés scientifiques pour qu’il regagne ses lettres de noblesses, lui donner la visibilité qu’il mérite et le faire apparaître comme partie intégrante de l’activité de publication. »

Lionel Maurel, « Et si l’Open Access était une question de Digital Labor ? », 2020

Limites de l’open accessInaccessibilité
  • Problème des PDF : mal référencés / indexés, proportions fixes (difficiles à consulter sur téléphone), inadaptés aux personnes malvoyantes, non sémantiques (coordonnées géométriques)
  • Autres productions que les articles, livres et conférences : comment archiver des sites Web, concerts, expositions, etc. ? Possible effet normatif des pratiques de recherche lié aux contraintes techniques
Limites de l’open accessFragmentation
  • Par manque d’intérêt, par contrainte technique, ou par inadéquation typologique, un certain nombre de productions ne sont pas présentes sur les plateformes d’archivage institutionnelles.
  • Ces autres productions peuvent pourtant avoir un grand intérêt ! On peut en trouver sur les médias sociaux, sites personnels ou collectifs, plateformes propriétaires, médias imprimés, etc.
  • Il y a de plus un effet de formatage visuel peu propice à la consultation , qui ne va pas sans conséquences pour les pratiques en art et design.
Limites de l’open access
  • Invisibilité
  • Inaccessibilité
  • Fragmentation
  • Consultation
  • Valorisation
Faire savoir & savoir-faire
  • Les « savoir-faire » des chercheur·euses ont-ils du sens sans leur « faire savoir » ?
  • Comment ménager légitimation, communication et valorisation de la recherche ?

4 –
Faire savoir les savoirs

Faire savoir les savoirs : paradoxe

Les plateformes d’archivage open access ne permettent pas de valorisr correctement la recherche, mais la diffusion de la recherche auprès d’un public élargi est rarement reconnue dans les carrières. Les résultats de la recherche restent ainsi mal connus

Faire savoir les savoirs : comment ?
  • Mass médias (plateaux TV, radio, presse) : difficile d’y faire valoir une exigence scientifique
  • Médias sociaux (Twitter, Instagram, Linkedin, Medium, etc.) : bonne visibilité mais dépendance de plateformes propriétaires
  • Podcasts & newsletters : faciles à mettre en œuvre, mais chronophages et parfois mal indexés
  • Sites Web personnel : grande liberté et autonomie, mais manque de visibilité et prérequis techniques importants

Monsieur Phi, « 💩 Pourquoi les philosophes médiatiques disent de la merde 💩 », 2020

Juliette Ferry-Danini, « Qui sont les philosophes ? La question de l’expertise philosophique dans les médias français », Medium.com, juillet 2020

Faire savoir les savoirs : proposition
  • Dépasser l’opposition entre recherche et valorisation
  • Rendre public les strates de la construction des savoirs
  • Ne pas penser isolément les résultats de la recherche, mais en réseaux

5 –
Mettre en réseau(x)
« ses » productions


Fiches de travail,
base de connaissances,
graphes documentaires

Zettlr

Zettlr

Obsidian

Stylo

Arthur Perret, « De la fiche au graphe documentaire », novembre 2020


Construire ses réseaux

Espaces de publication semi publics et fonctions d’agrégation
  • Arthur Perret : « Site généré avec Pandoc »
  • Antoine Fauchié : « Carnet | Flux | Projets | Publications »
  • + GitHub & Carnets de recherche
  • Ne pas penser en silo mais en réseau (flux, import/export, etc.)
Pourquoi construire son réseau de connaissances ?
  • Archiver ses travaux pour les faire connaître, pour maîtriser leur stockage et référencement, et ce quelque soit leur provenance et nature
  • Rendre les documents pleinement « accessibles » (pas de paywalls, lecture directe dans le navigateur, etc.)
  • Affirmer l’importance des notions de forme et de format dans la recherche
Pourquoi construire son réseau de connaissances ?
  • Pouvoir enrichir les documents a posteriori, notamment avec des métadonnées et médias complémentaires (images, etc.)
  • Intérêt méthodologique : la vision d’ensemble permet de prendre conscience de cohérences et de bifurcations dans les thématiques, auteur·trices et objets analysés, etc.
  • « Encapacitation » des chercheur·euses : l’archivage et la documentation comme manière de s’émanciper des indicateurs de performance
  • « Appareillage » des réseaux numériques : montrer que d’autres pratiques que celles de l’économie sont possibles

« L’examen, même rapide, de ces cas me pousse souvent à creuser une question et à me documenter, et produit une archive de relevés qui a une vraie valeur historique. L’organisation en réseau de ces exemples est assurée par les mots-clés dans la colonne de droite. »

André Gunthert, « L’image sociale, point d’étape », janvier 2021

6 –
Cas d’étude :
Site AnthonyMasure.com

www.SoftPhD.com, 2014

« Redesign du site AnthonyMasure.com », 12 janvier 2021

4 strates de tags (ontologie) : « notions », « personnes », « objets », « médias »

Fichier source .TXT (YALM et Markdown) de la page Web accueillant cette conférence

Exemple de document contextualisé

Exemple de médias complémentaires : slides, audio, vidéo

Anthony Masure, CV « filtrable »

Bilan
  • De bons retours côté lecteur·trices à propos de l’interface et des parti-pris de classement des informations
  • De mon côté, sentiment de satisfaction quand un document est ainsi mis en ligne disponible : comme s’il était « vraiment » accessible
  • Ne pas négliger la masse de temps nécessaire à l’élaboration d’un tel site, mais surtout à la saisie des informations (processus toujours perfectible)
  • Importance de documenter les choix de conception
Quelles suites ?
  • Mettre en place plusieurs « vues » des données (listes compactes, graphes, etc.)
  • Pouvoir naviguer par médias (ex. : page avec toutes les images ou vidéos du site)
  • Produire des bibliographies réutilisables (par ex. via Zotero), et donc combinables

7 –
Inspirations

Comment faire réseau ?
  • Graphes
  • Listes
  • Indexs
  • Timelines

Otletosphere, 2020 : graphe relationnel

Kinopio.club (Louis-Olivier Brassard, cartographie d’Abrüpt), 2021

Benoît Verjat : réseau relationnel

Junior Design Research Conference, 2020 : dataviz / statistiques

Jacques Perconte : CV timeline

Archives.design : curation de documents d’Archive.org

Simon Collison : timeline personnelle

Lexicon of Design Research, Design Academy Eindhoven : index de concepts

The Art of Critique (RietveldAcademie.nl) : tri par mots clés

@AnthonyMasure
www.anthonymasure.com

Présentation réalisée avec Reveal.js, MIT License
Licence des textes : CC BY–SA

Police de caractères : Token (Phantom Foundry × FutureFonts, 2020)

Motifs de couvertures : D3-Delaunay