Colloque MCRIDD, Tunis, ISAMM / Campus de la Manouba, 26–28 septembre 2018
Le regain d’intérêt pour l’intelligence artificielle (IA) des années 2010 engendre des programmes auto-apprenants (deep learning) et potentiellement incontrôlables (black boxes). Ces IA « créatives » investissent progressivement les capacités d’invention et d’imagination, et tendent donc à se substituer aux tâches communément attribuées aux designers. Sous couvert de rentabilité, le risque est alors que le design ne devienne qu’une puissance de production de marchandises et de motifs (patterns) automatisés. Face au formatage des expériences humaines dans ce qu’elles ont de plus singulier, quelles marges de manœuvre peut-on inventer ? Des contre-pouvoirs sont-ils encore envisageables ?
Le design des programmes, des façons de faire du numérique
Thèse en esthétique, dir. Pierre-Damien Huyghe, univ. Paris 1, 2014
Revue de recherche Back Office
no 1, « Faire avec », 2017
Revue de recherche Back Office
no 2, « Penser, classer, représenter », 2018
Design et humanités numériques, Paris, B42, 2017
« Post-numérique ou post-politique ? », conf. à l’ESSTED Tunis, avril 2017
Carte de ravitaillement de Berlin Est par les alliés, 1948
Claude Shannon (1916-2001)
Une « théorie entière de la commande et de la communication, aussi bien chez l’animal que dans la machine ».
— Norbert Wiener, La cybernétique. Information et régulation dans le vivant et la machine, 1952
Pour expliquer le concept de « boîte noire », Norbert Wiener utilise l’exemple d’une machine se substituant à un organisme pour incarner la possibilité de remplacer un système par un autre sans connaître le détail de l’architecture du système considéré.
« C’était l’époque où des psychiatres construisaient des machines, où des logiciens s’occupaient du cerveau humain, où des mathématiciens assemblaient des cerveaux artificiels, où des anthropologues cherchaient des ‹ modèles › expliquant les comportements humains. »
— Philippe Breton, Histoire de l’informatique, Paris, La découverte, 1987
Alan Turing (1912–1954)
Alan Turing, « Computing machinery and intelligence », Mind,
Oxford University Press, vol. 49, no 236, octobre 1950
Alan Turing, « Computing machinery and intelligence », 1950
Remplacer « la question les machines peuvent-elles penser ? » par : « un ordinateur peut-il tenir la place d’un être humain dans le jeu de l’imitation » ?
« On peut espérer que les machines finiront par concurrencer les hommes dans tous les champs intellectuels. Mais quels sont les meilleurs pour commencer ? C’est une décision difficile. Beaucoup de gens pensent qu’une activité très abstraite, comme le jeu d’échecs, serait la meilleure. Il se peut qu’il soit préférable [de] suivre l’enseignement normal d’un enfant. […] Je ne sais pas quelle est la bonne réponse, mais je pense que les deux approches devraient être essayées. »
— Alan Turing, « Computing machinery and intelligence », 1950
Garry Kasparov VS IBM Deep Blue, 1997
Lee Sedol VS Google DeepMind AlphaGo, 2017 (deep learning)
Stafford Beer, salle des opérations du projet Cybersyn, Chili, 1973
Modèle du contrôle, science du pilotage (kubernêtês)
Xerox Star, interface WYSIWIG, 1981
« La description de la tâche actuelle avec sa répartition des objets et des méthodes d’information actuellement employées offre un point de départ pour la définition d’un ensemble équivalent d’objets et de méthodes devant être fournis par le système informatique [l’ordinateur, ses programmes et ses périphériques]. L’idée derrière cette phase de conception est de construire un nouvel environnement des tâches pour l’utilisateur, dans lequel il puisse travailler pour atteindre les mêmes objectifs qu’avant, désormais entouré d’un ensemble différent d’objets, et en employant de nouvelles méthodes. »
— David Canfield Smith, Charles Irby, Ralph Kimball, Bill Verplank, Eric Harslem, « Designing the Star User Interface », Byte, no 4, 1982
Tron, 1982. « Master Control Program: You’re in trouble, program.
Why don’t you make it easy on yourself. Who’s your user? »
« Flynn : Je suis ce que vous appelez un ‹ utilisateur ›…
Tron : Eh bien, si vous êtes un utilisateur, alors tout ce que vous avez fait l’a été selon un plan, n’est-ce pas ?
Flynn : (rires) Vous aimeriez que cela soit le cas… Vous savez ce qu’il faut faire, vous continuez à faire ce que vous faites – même si cela a l’air absurde.
Tron : C’est comme ça avec les programmes en effet. Mais…
Flynn : Je déteste te décevoir mon pote, mais la plupart du temps c’est comme ça aussi pour les utilisateurs. »— Film Tron (1982), cité par Eugene Thacker dans : A. Galloway, Protocol. How Control Exists after Decentralization, MIT Press, 2004
Vilém Flusser (1920–1991)
Vilém Flusser, Pour une philosophie de la photographie [Filosofia da Caixa Preta. Ensaios para uma futura filosofia da fotografia, 1983], Paris, Circé, 1998
Pour Flusser, la photographie fait partie des « techno-images » produites par des appareils. L’apparente objectivité des images techniques est illusoire et dangereuse, puisqu’elles ne signifient pas le monde monde extérieur mais les textes cachés des programmes « boîtes noires ». En l’absence d'un point de vue critique et d’un travail artistique, nous courons le risque de rester analphabètes des images et d’être programmés par les machines.
« La compétence de l’appareil doit être supérieure à celle de ses fonctionnaires. Aucun appareil photo correctement programmé ne peut être entièrement percé à jour par un photographe […]. C’est une black box. […] Même si, dans sa quête de possibilités, il se perd à l’intérieur de son appareil, il peut maîtriser la boîte. Car il sait comment alimenter l’appareil (il connaît l’input de la boîte), et sait également comment l’amener à cracher des photographies (il connaît l’output de la boîte). […] Voilà ce qui caractérise le fonctionnement de tout appareil : le fonctionnaire est maître de l’appareil grâce au contrôle qu’il exerce sur ses faces extérieures (sur l’input et sur l’output), et l’appareil est maître du fonctionnaire du fait de l’opacité de son intérieur. En d’autres termes, les fonctionnaires sont maîtres d’un jeu pour lequel ils ne sauraient être compétents. Kafka. »
— Vilém Flusser, Pour une philosophie de la photographie [1983], Paris, Circé, 1998, p. 36
« La boîte, qu’elle soit appareil photo ou média, tend automatiquement à nous dévorer. Les photographes essaient de duper les boites pour leur faire produire de l’information. C'est la lutte entre la liberté humaine et ses propres dispositifs. Chaque photographie témoigne isolément de cette lutte. »
— Vilém Flusser, « Comment ne pas être dévoré par la boîte », 14e Rencontres Internationales de la Photographie, Arles, 9 juillet 1983
Vilém Flusser, « Le geste d’écrire », 1976–1984
Vilém Flusser, Does writing have a future? [1987], trad. de l’allemand par Nancy Ann Roth, University of Minnesota Press, 2011
Vilém Flusser, « Programme (Tes père et mère honoreras) », 1986
« Les robots peuvent honorer notre père et notre mère à notre place. Ils peuvent le faire mieux que nous, avec plus de précision, d’efficacité et de pertinence. Tout comportement est théoriquement mécanisable : pensées, sentiments, et mêmes les inspirations les plus transcendantes. Si difficulté il y a, elle n’est que pratique. »
— Vilém Flusser, « Programme (Tes père et mère honoreras) » [1986], à paraître dans Multitudes, dossier « Vivre dans les programmes », dir. Yves Citton et Anthony Masure
Frank Pasquale, Black Box Society. Les algorithmes secrets qui contrôlent l’économie et l’information, trad. de l’anglais par Florence Devesa et Phil Adams, Roubaix, FYP, 2015
« Surveiller les autres tout en échappant soi-même à la surveillance est l’une des plus hautes formes du pouvoir. »
— Frank Pasquale, Black Box Society, 2015
Le deep learning, ou « apprentissage profond », est un type d’intelligence artificielle dérivé du machine learning (apprentissage automatique) où la machine est capable d’apprendre par elle-même, contrairement à la programmation où elle se contente d’exécuter des règles prédéterminées.
Le deep learning est une technologie d’apprentissage automatique basée sur un réseau de « couches » neurones artificiels s’inspirant du cerveau humain. Le système apprendra par exemple à reconnaître les lettres avant de s’attaquer aux mots dans un texte, ou détermine s’il y a un visage sur une photo avant de découvrir de quelle personne il s’agit. À chaque étape, les « mauvaises » réponses sont éliminées et renvoyées vers les niveaux en amont pour ajuster le modèle mathématique. Au fur et à mesure, le programme réorganise les informations en blocs plus complexes. Les données de départ sont essentielles : plus le système en accumule plus il est sensé être performant.
Fonctionnement du deep learning
Tensor Flow, Google, 2015–
Watson, IBM, 2011–
« Les tâches effectuées par les systèmes d’IA sont souvent conçues pour des contextes limités afin de réaliser des progrès pour la résolution d’un problème ou une application précise. Alors que les machines peuvent obtenir des performances spectaculaires sur une tâche spécifique, ces performances peuvent se dégrader considérablement si la tâche en question est modifiée même légèrement. »
— Stanford, « Index de l’IA », 2018
« Sciences de la cognition, paradis inconnu des designers », Cog’Innov
Web heatmap & analytics : l’économie des gestes et du regard
L’économie de l’attention. Guillaume Ledit, « Comment Netflix choisit les images des séries selon votre profil », Usbek & Rica, décembre 2017
Les A/B testing, ou l’obsession de la mesure
« Lorsqu’une entreprise est remplie d’ingénieurs, elle se tourne vers l’ingénierie pour résoudre les problèmes. Réduire chaque décision à un simple problème de logique. Supprimer toute subjectivité et uniquement regarder les données. […] Et ces données finissent par devenir une béquille pour chaque décision, paralysant l’entreprise et l’empêchent de prendre des décisions de conception audacieuses. Oui, c’est vrai qu’une équipe de Google ne pouvait pas choisir entre deux bleus, alors ils ont testé 41 nuances de bleu pour voir lequel était le plus performant. […] J’en ai eu assez de débattre de ces minuscules décisions de conception. Il y a des problèmes de conception plus passionnants à résoudre dans ce monde. »
— Douglas Bowman, « Goodbye, Google », mars 2009
« L’histoire du design UX est, jusqu’à très récemment, l’histoire du design définie par d’autres domaines. Notre domaine a d’abord été défini par les ingénieurs car, soyons honnêtes, ce sont eux qui ont inventé Internet. Et leur définition du design – des gens avec des bonnets cools qui mettent des couleurs partout – est encore largement acceptée par une grande majorité des designers. C’est la voie de la facilité. […] Nous avons passé les vingt dernières années à prouver notre légitimité aux ingénieurs qui pensaient que nous étions une perte de temps. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que nous pouvions amplifier leur puissance de façon exponentielle. »
— Mike Monteiro, « Design’s Lost Generation », Medium, février 2018
Exploration de données ; robotique industrielle ; logistique ; reconnaissance vocale ; applications bancaires ; diagnostics médicaux ; reconnaissance de formes ; moteurs de recherche, etc.
Google, voiture autonome, 2010–
Rester sur sa ligne : « The Audi active lane assist », 2010
— « Robot journaliste : en un an, une IA créée par le Washington Post a publié 850 articles », Numerama.com, septembre 2017
DoNotPay (robot avocat), 2017
« Assistants vocaux »
« Assistants vocaux » embarqués dans des enceintes connectées
The Next Rembrandt, Microsoft, 2018
TheGrid.io, 2016
Adobe Sensei, 2016
Zalando, Fashion-MNIST dataset (60 000 sprites)
Balenciaga AI, Robbie Barrat, 2018
Kate Crawford, Vladan Joler, « Anatomy of an AI System » [Amazon Echo], 2018
Raphaël Bastide, Twins, performance, 2016
—
Présentation conçue avec Reveal.js (MIT License)
Crédits typo : Skolar Sans (Rosetta Type) & Input (David Jonathan Ross)