Anthony Masure (prof. associé, responsable de la recherche, HEAD – Genève, HES-SO)
Séminaire ArTeC, « Technologies critiques », à l’invitation de Emanuele Quinz, Université Paris 8, 15 mars 2022
En raison de leur efficacité et rentabilité, les intelligences artificielles (IA) « neuronales » trouvent leur place dans les industries créatives depuis plusieurs années. Si les technologies du deep learning sont la plupart du temps envisagées sous l’angle de l’automatisation, nous proposons de les considérer également sous l’angle du concept de mécanisation pour souligner la possibilité d’un travail « avec » les machines plutôt qu’un abandon de leurs potentialités aux forces économiques. En quoi le design pourrait-il contribuer à désamorcer la culture dominante de l’IA ? Comment faire en sorte que les technologies du deep learning puissent ouvrir à l’invention et à la curiosité ? En quoi les cursus de design pourraient-ils (ou devraient-ils) faire l’objet de reconfigurations ?
HEAD – Genève (HES-SO), nouveau campus, 2017–2022
800 étudiant·e·x·s, 200 enseignant·e·x·s
(arts visuels, cinéma, architecture d’intérieur, communication visuelle, mode)
Institut de Recherche en Art & Design (Irad), HEAD – Genève
Essai Design et humanités numériques, Paris, B42, 2017
Revue de recherche Back Office
nº 4, « Suivre le mouvement », design graphique E+K, Paris, B42, avril 2021
Garry Kasparov VS IBM Deep Blue, 1997
Programmation traditionnelle
Lee Sedol VS Google DeepMind AlphaGo, 2017
Deep learning
Fonctionnement du deep learning
Gema Parreño, « TensorFlow Introduction », avril 2016
« Creatures great and SMAL.
Recovering the shape and motion of animals from video? », 2018
Comment les technologies du deep learning sont-elles investies dans les champs de l’art et du design ?
Microsoft, The Next Rembrandt, 2018
Portrait de Edmond Belamy, 2018
GAN Art (Generative Adversarial Network), vendu pour $432,500 en 2018
Robbie Barrat, tweet du 7 décembre 2017
Comment l’histoire de l’art peut-elle aider à comprendre les façons de faire dominantes des intelligences simulées ?
Jean Léon Gerôme, Jeunes Grecs faisant battre des coqs,
dit aussi Un Combat de coqs, 1846
William-Adolphe Bouguereau, La Vierge aux anges, 1881
Cette peinture a été réalisée à la même époque que les avant-gardes
Hiérarchie des genres → Idéal du progrès technique
Supériorité du dessin sur la couleur → Vectorisation du monde
Travail en atelier → Cloud computing
Imitation des classiques → Remix de jeux de données
Effacement de la touche → Haute résolution
On peut observer un écart temporel entre la photographie comme invention technique, et la photographie comme art, qui naît d’une divergence avec le modèle pictural.
Alexandre Bessano, Sa majesté la reine Victoria. Portrait du jubilé de diamant, 1897
Succès commercial des cartes à l’effigie de personnalités
Robert Demachy, Femme au chapeau, aristotype, ≈ 1905
Pictorialisme : imitation de la peinture par la photographie
(Walter Benjamin, Pierre-Damien Huyghe)
L’acceptation d’un monde façonné par les IA se pose moins en termes de remplacement (remplacement de l’humain par la machine) qu’en termes de recouvrement : un environnement dans lequel on ne pourrait pas distinguer ce qui est produit, ou non, avec les IA.
Adobe Sensei, 2016–
TheGrid.io, 2016
Zalando, « Fashion-MNIST » dataset (60 000 sprites), 2016
Zalando, « Fashion-MNIST » dataset (60 000 sprites), 2016
Autodesk Netfabb, 2017
La mécanisation (ou industrialisation) renvoie habituellement à une efficacité et une performance débarrassées des aléas humains.
C’est dans cette perspective que s’inscrit le livre de Siegfried Giedion La mécanisation au pouvoir (Mechanization Takes Command, 1948), dans lequel il analyse plusieurs moyens d’optimiser le labeur humain.
Siegfried Giedion, La mécanisation au pouvoir [1948],
Paris, Centre Pompidou, 1980
Pierre-Damien Huyghe, « Art et mécanique », Le Portique, nº 3, 1999
« Pour [Walter] Benjamin, il ne s’agit pas de se résoudre mélancoliquement au sacrifice, mais de trouver ce que peut être le progrès de l’art, ou sa marche, sa méthode, avec l’industrie. Art et industrie devront aller ensemble, sans se sacrifier ni l’un ni l’autre et sans se sacrifier l’un à l’autre. C’est donc le rapport de service de l’industrie (ou de la photographie) à l’art qui fait l’objet de la critique de [Walter] Benjamin. »
— Pierre-Damien Huyghe, « Art et mécanique », Le Portique, nº 3, 1999
« Il n’y a pas de science de l’art. Et c’est dans ce manque que nous sommes. Aurons-nous un espace de repli où nous réfugier ? Un tel espace, pour être refuge, doit être prêt d’avance. D’où l’envie, à nouveau, de ce qui a déjà donné des signes sûrs et rassurants de présence : le théâtre, la peinture classique, les espaces démarqués, optiques, spéculatifs, spectaculaires. Pourtant cette configuration, très renaissante, a cessé de faire effet. Elle ne compte plus que réactivement, dans la fuite et dans la peur. »
— Pierre-Damien Huyghe, « Art et mécanique », Le Portique, nº 3, 1999
Siegfried Giedion, « Mécanisation et substance organique. La mécanisation et la mort : la viande », dans : La mécanisation au pouvoir, 1948
Pierre-Damien Huyghe, « De la mécanisation au design »,
Azimuts, nº 39, « Animal », 2013, p. 149-176
« Dans le monde de la mécanisation, qu’il s’agisse de travailler ou de seulement consommer, l’uniformisation du temps est une affaire. Ce monde est dans la constance des cadences, de l’égal, du répétitif. Ce qu’il produit d’une manière inédite, c’est l’uniformité. Ainsi l’abondance de la société industrialisée est-elle en profondeur, et même si elle s’en défend, hantée par le risque de la monotonie. »
— Pierre-Damien Huyghe, « De la mécanisation au design », Azimuts, 2013
« Notre industrie doit former des designers au lieu de former des artisans car nos artisans, ce sont les machines, des artisans tout prêts, efficaces, dociles. Sur ce point le pouvoir mécanique a fait table rase. Comment obtenir de ces impressionnantes ‹ machines / artisans › ce qu’elle peuvent faire de mieux ? Puis, au-delà du savoir-faire mécanique, comment trouver les rythmes de la forme ? »
— Frank Lloyd Wright, « L’Architecture moderne » [1930], dans : L’avenir de l’architecture, Paris, Linteau, 2003, p. 107-108. Cité dans : Pierre-Damien Huyghe, « De la mécanisation au design », Azimuts, 2013
« World’s First AI-Designed Manga Based on the artistic style of Osamu Tezuka », 2020
Cité dans : Tom Lebrun & René Audet, L’IA et le monde du livre, 2020
Mise en évidence de tropes artistiques et stylistiques
Robbie Barrat, Balenciaga AI, 2018
La mode comme renouvellement factice du monde
Recyclage de séquences animées dans les longs-métrages Disney
Le réemploi et la copie ne sont pas apparus avec le deep learning !
Philipp Schmitt, Camera Restricta, 2015
Cet appareil bloque les photos « banales » par comparaison avec des vues géotaggées
Nicolas Nova & Joël Vacheron, « Data Data. Une introduction aux cultures algorithmiques », Back Office, nº 2, 2018
« The Alien Style of Deep Learning Generative Design », Medium.com, 2016
Est-ce vraiment « formé » ?
Nicolas Maigret, Predictive Art Bot, 2017
Mario Klingemann (Quasimondo), X Degrees of Separation, 2016
Simone Rebaudengo & Sami Niemelä, Made in Machina/e, 2018
Studio Moniker, Repeat After Me. Hommage to the Human Voice, 2019
Alistair McClymont, John Fass, Of Machines Learning to See Lemon, 2018
« This invisible classification process is usually intended to produce automated decisions, which can have profound consequences for individual and collective freedom. The possible benefits of machine learning are many, but we run the risk of developing technologies of such complexity that our abilities to shape them to serve the common good are severely limited. »
—Alistair McClymont, John Fass, Of Machines Learning to See Lemon, 2018
Kate Crawford, Vladan Joler, Anatomy of an AI System [Amazon Echo], 2018
Lauren McCarthy, SOMEONE. Human home intelligence at scale, 2019
Version humaine de Amazon Alexa
Elisa Giardina Papa, Labor of Sleep, Whitney Museum Sunrise, 2017
Critique du labeur émotionnel
@CatHallam1, tweet du 6 avril 2019
Marta Revuelta, AI Facial Profiling, Levels of Paranoia,
HEAD – Genève, Master Media Design, 2018
« German Art Activists Get Passport Using Digitally Altered Photo
of Two Women Merged Together », 2018
Raphaël Bastide, Twins, performance, 2016
James Bridle (dir.), exposition Through Other Eyes,
Limassol, NeMe Art Centre, 2019
Vilém Flusser & Louis Bec, Vampyroteuthis infernalis [1981–1987]
Simon Senn, Be Arielle F, 2020
Dialoguer avec un autre corps
« Si je ne peux pas traduire, je ne peux pas comparer. […] Il est très facile de traduire un traité de chimie, de l’anglais en français, mais traduire un poème de Li Tai Po en français est presque impossible, traduire Mozart en architecture est un grand problème. […] Peut-être lorsque la science des codes aura fait des progrès plus grands, on pourra faire des familles de codes. Peut-être trouvera-t-on des codes qui peuvent être traduits et d’autres qui ne le peuvent pas. Si on fait un tel catalogue, on comprendra beaucoup de choses sur la situation humaine. […] C’est une théorie pour les temps nouveaux. C’est un champ d’engagement très grand, parce qu’il ne s’agit pas seulement de traduire de l’anglais en français, il s’agit, par exemple, de traduire Marx en Freud, ou Freud en catholicisme, ou le catholicisme en néopositivisme. C’est là le vrai jeu. Vous voyez où nous allons si nous commençons à penser en termes de codes. Nous allons vraiment vers une autre culture […]. »
— Vilém Flusser, Le monde codifié, Paris, Institut de l’Environnement, 1973
Grégory Chatonsky & Karmel Allison, Machines Upon Every Flower, Anteism Press, 2018
Génération d’images à partir de textes générés
Thinking Machines, workshop à la HEAD – Genève, Master Media Design, 2020
Mélanger plusieurs époques de l’IA
Dominique Cardon, Jean-Philippe Cointet, Antoine Mazières, « La revanche des neurones. L’invention des machines inductives et la controverse de l’intelligence artificielle », 2018
« Graphic Design in the Post-Digital Age: A survey of practices fuelled by creative coding », projet de recherche HEAD – Genève, 2019-2022, dir. Demian Conrad
« Graphic Design in the Post-Digital Age: A survey of practices fuelled by creative coding », projet de recherche HEAD – Genève, 2019-2022, dir. Demian Conrad
Faisant l’objet de nombreuses controverses techniques et épistémologiques, les technologies du machine learning trouvent leur place dans les industries créatives depuis plusieurs années et reconfigurent les pratiques de design. Mais comment l’automatisation propre aux technologies numériques pourrait-elle être réorientée à plus petite échelle, de façon maîtrisée et « sur-mesure » ? Comment faire en sorte que le machine learning puisse ouvrir à l’invention et à la curiosité ? Pour répondre à ces questions, nous nous concentrerons sur le champ du design graphique dans une optique de recherche-création : le matériel récolté (enquêtes et entretiens) servira d’ancrage à la production d’un prototype semi-fonctionnel à caractère manifeste.
Financement HES-SO, « Projets exploratoires sur la transition numérique »,
novembre 2021 à juillet 2022
Équipe |
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Anthony Masure (requérant) |
Alexia Mathieu |
Douglas Edric Stanley |
Douglas Edric Stanley, esquisse de site Web du projet de recherche
« L’automatisation au pouvoir ? Design et machine learning », février 2022
Douglas Edric Stanley, esquisse de site Web du projet de recherche
« L’automatisation au pouvoir ? Design et machine learning », février 2022
« Il s’agit de penser la technique comme un système devant lequel il faut ne jamais baisser pavillon et savoir rester critique, mais aussi comme une gigantesque mine de ressources et de potentialités. C’est là qu’il faut puiser pour imaginer de nouvelles qualités. »
— Ezio Manzini, Artefacts. Vers une nouvelle écologie de l’environnement artificiel [1990], Paris, CCI, 1991
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Licence (textes) : CC BY-SA
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Polices de caractères
Forward (Frank Adebiaye & Studio Triple × Future Fonts, 2021)
IBM Plex Mono (Mike Abbink × Bold Monday, 2018)
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Motifs des fonds : D3-Delaunay