Responsabilité du design,
design de la responsabilité

@AnthonyMasure (prof. associé, responsable de la recherche, HEAD – Genève, HES-SO)

Séminaire doctoral, dir. Francesca Cozzolino et Emanuele Quinz
« Design is the answer, but what was the question? Le design et l’art à l’épreuve de la crise de la modernité »

Paris, EnsadLab, 16 décembre 2021

Résumé

Apparu au tournant des révolutions industrielles comme une brèche dans l’idée dominante d’économie industrielle, le design aura montré que la prise en compte de dimensions comme l’esthétique, l’altérité, l’attention ou l’écologie s’opposent à sa réduction en une simple « résolution de besoins ». Plus proche de nous – a minima depuis la parution en 1972 du rapport Meadows intitulé Les limites à la croissance (dans un monde fini) – la prolifération d’objets manufacturés préoccupe légitimement un monde en proie aux crises climatiques. Depuis quelques années, le design se voit ainsi affublé d’une multitude de qualificatifs : « écodesign », « design social », « design éthique », « design inclusif », etc. On peut dès lors se demander si cette tendance ne met pas en évidence une difficulté à comprendre ce qui pose problème dans le design « tout court » : ayant peut-être perdu sa force subversive, ce dernier serait-il désormais parfaitement intégré aux forces productives ? Comment situer dès lors le rôle ou la tâche du design, pris entre désir et besoin, entre économie et morale ? Existe-t-il une responsabilité propre au design ? Le design ne devrait-il pas, au contraire, œuvrer à rendre la responsabilité collective et intelligible ? Quelles sont les continuités et discontinuités entre le monde des choses et l’action politique ?

I –
La recherche à la
HEAD – Genève

HEAD – Genève (HES-SO), nouveau campus, 2017–2022
800 étudiant·e·x·s, 200 enseignant·e·x·s
(arts visuels, cinéma, architecture d’intérieur, communication visuelle, mode)

Institut de Recherche en Art & Design (Irad), HEAD – Genève

La recherche à la HEAD – Genève
  • « Recherche-création » : avec les moyens de l’art et du design
  • Approches multiples : historique, critique, pratique, technique, prospective, etc.
  • Perspective professionnalisante : anticiper l’avenir des métiers de la création

II –
Warm-up

Philip Nitschke, Sarco, « capsule » pour le suicide assisté, Exit International, 2021

Philip Nitschke, Sarco, « capsule » pour le suicide assisté, Exit International, 2021

Responsabilité ?

« Obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu’elle doit assumer et d’en supporter toutes les conséquences. »

Définition du TFLI

Responsabilité ?
  • Parle-t-on d’une responsabilité juridique, sociale, morale, ou politique ?
  • La responsabilité est-elle individuelle ou collective ?
  • La notion de responsabilité n’est-elle pas corrélée aux progrès techniques ?

III —
Responsabilité du design

1 —
Le proto-design comme
écart avec l’économie
de l’industrie

1.1 —
Les révolutions industrielles,
des situations contrastées

Machine à vapeur de Watt, Paris, Arts et Métiers, 1769

Carreau de mine de La Houve, Creutzwald, Lorraine, 1895

Métier à tisser Jacquard, Paris, Arts et Métiers, 1801–
Premier système mécanique programmable avec cartes perforées
Travail des enfants et révolte des canuts à Lyon entre 1831 et 1848

1.2 —
Les expositions universelles :
mécaniser l’artisanat

La première exposition universelle se tient à Londres en 1851. Pour cette occasion, le Crystal Palace est construit en six mois seulement grâce à l’emploi d’unités modulaires standardisées, préfabriquées en usine et montées sur place, introduisant une nouvelle façon de concevoir et de bâtir. Le bâtiment est gigantesque : 563 mètres de long sur 263 de large, pour une surface de 92 000 m2. Il marque durablement les esprits et devient rapidement un modèle, préfigurant toute la production d’architecture de métal et de verre et la préfabrication du XXe siècle.

Joseph Paxton, Crystal Palace, Londres, 1851
Association des arts, des sciences et de l’industrie

« Le grand principe de la division du travail, que je ne crains pas d’appeler la force motrice de la civilisation, s’étend à toutes les branches de la science, de l’industrie et de l’art. […] Les distances qui séparaient les peuples et les contrées de la Terre s’évanouissent chaque jour devant la puissance de l’esprit d’invention. »

Michel Chevalier, L’exposition universelle de Londres considérée sous les rapports philosophique, technique, commercial et administratif, au point de vue français, Paris, L. Mathias, 1851, p. 36

« [les organisateurs des expositions universelles espéraient] que la machine permettrait d’alléger le travail, de multiplier les richesses et d’améliorer la vie de tous, d’apporter la paix et la fraternité entre les nations. [Mais] en plus de substituer au style et à l’ornementation artisanale celui de la machine […], les produits standardisés européens favorisent surtout le passé, l’ostentatoire, le goût bourgeois et l’imitation […] »

Alexandra Midal, Design. Introduction à l’histoire d’une discipline, Paris, Pocket, 2009, p. 37

Exemples d’objets présentés dans le Crystal Palace de 1851

1.3 –
Critiques de la mécanisation
et apparition du « design »

« Mais l’ingéniosité mécanique n’est pas l’essence de la peinture ou de l’architecture ; et l’amplitude spatiale n’implique pas nécessairement une noblesse de conception. […] Toutes ces œuvres […] méritent notre plus grande admiration mais pas l’admiration du genre qui est rendu à la poésie et aux arts. Nous pouvons couvrir l’océan allemand avec des frégates, combler le canal de Bristol avec du fer et recouvrir le comté de Middlesex avec du cristal, sans toutefois posséder un seul Milton ou Michel Ange. »

John Ruskin, The opening of the Crystal Palace, 1854, p. 6

« Vous pouvez enseigner à un homme à tracer une ligne droite et à la couper […] d’après des modèles donnés, et vous trouverez son travail parfait dans son genre : mais demandez-lui de réfléchir sur quelques-unes de ces formes, […] son travail deviendra hésitant ; il pensera et, neuf fois sur dix, dans son premier essai, cet être pensant commettra une erreur. Mais, malgré tout, vous en aurez fait un homme alors qu’il n’était qu’une machine, un outil animé. »

John Ruskin, La nature du gothique [1851], Paris, Ensba, 1907, p. 40

Henry Cole, The journal of design and manufactures, 1849
La première mention du mot « design » !

Henry Cole, Journal of Design

« L’idéal du meunier moderne […] semble être de réduire les riches grains de blé en une poudre blanche dont la particularité est de ressembler à de la craie, car il recherche avant tout la finesse et la blancheur, au détriment des qualités gustatives. Vous voyez donc qu’il est désormais pratiquement impossible de trouver du pain. Et cela, vous devez le comprendre, est un trait essentiel du processus d’édification de la société de l’ersatz : on impose à toute une population un ersatz quelconque, et en un laps de temps très court l’authentique, le produit d’origine, disparaît totalement. »

William Morris, « L’âge de l’ersatz », conférence, 1894

« La raison d’être de l’industrie n’est pas de créer des biens mais des profits réservés aux privilégiés qui vivent du travail des autres. […] J’affirme que le peuple tout entier ne sera jamais heureux sous un tel régime, qui fait de la vie un lamentable ersatz. […] La société de l’ersatz continuera à vous utiliser comme des machines, à vous alimenter comme des machines, à vous surveiller comme des machines, à vous faire trimer comme des machines – et vous jettera au rebut, comme des machines, lorsque vous ne pourrez plus vous maintenir en état de marche. Vous devez donc riposter en exigeant d’être considérés comme des citoyens. »

William Morris, « les arts mineurs » [1877], Contre l’art d’élite, Paris, Hermann, 1985

John Ruskin & William Morris
  • Rejet d’une imitation altérée d’anciennes techniques
  • Capacité des choses à transformer le monde positivement
  • Repenser les conditions de production
  • Dévalorisation des machines, réduites à de la mécanisation

2 —
L’utopie moderne

2.1 —
László Moholy-Nagy,
« le design pour la vie »

László Moholy-Nagy, Modulateur-espace-lumière, 1929

László Moholy-Nagy, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », 1947

« Il faut faire en sorte désormais que la notion de design et la profession de designer ne soient plus associées à une spécialité, mais à un certain esprit d’ingéniosité et d’inventivité, globalement valable, permettant de considérer des projets non plus isolément mais en relation avec les besoins de l’individu et de la communauté. Aucun sujet, quel qu’il soit, ne saurait être soustrait à la complexité de la vie et traité de manière autonome. »

László Moholy-Nagy, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », 1947

2.2 —
Le Good Design, ou la morale de la forme

Good Design, exposition Home, Brooklyn Museum, 1958

« [Le Good Design] opère une fusion complète de la forme et de la fonction révélant une beauté simple et pratique. […] Ses principes fondateurs sont les suivants : […] être l’expression de notre temps […] ; se familiariser avec les nouveaux matériaux et les techniques […] ; exprimer clairement la fonction d’un objet ; […] révéler les méthodes de sa production sans tromperies, créer une unité satisfaisant visuellement la fonction, les matériaux et les procédés de fabrication ; être structurellement et esthétiquement simple et sans ornements ; dominer la machine pour qu’elle serve l’homme ; être au service du plus grand nombre, et considérer les besoins modestes et les coûts peu élevés comme aussi importants que […] le luxe. »

Edgar Kaufmann Jr., « Confort », dans : What is modern design?, New York, The Museum of Modern Art, 1953

Le mouvement moderne
  • Valeurs humanistes et démocratiques
  • Usage non traditionnel des nouveaux matériaux
  • Foi dans le progrès technique
  • Correspondance entre formes et valeurs morales (« Good Design »)

3 —
La modernité en crise(s)

Le mouvement moderne
  • Peu de réussites industrielles effectives
  • Ambiguïté d’un vocabulaire formel utilisé par des régimes facistes
  • Le projet moderne trouve son apogée dans Auschwitz : le mouvement moderne s’effondre en Europe après la Seconde Guerre mondiale

3.1 —
Siegfried Giedion,
la mécanisation du vivant

Siegfried Giedion, La mécanisation au pouvoir [1948],
Paris, Centre Pompidou, 1980

Siegfried Giedion, « Mécanisation et substance organique. La mécanisation et la mort : la viande »,
dans : La mécanisation au pouvoir [1948], Paris, Centre Pompidou, 1980

« Ce sont les dossiers du Bureau des brevets à Washington qui renseignent le mieux sur le fonctionnement de cette machine de mort [les abattoirs de Chicago]. On y voit comment les porcs sont tout doucement attrapés par une patte de derrière à l’aide d’ingénieux dispositifs ; comment on les attire vers la trappe au moyen de nourriture, et comment, suspendus en file indienne, ils prennent, tout en avançant, la meilleure position pour être abattus. On voit également comment on dépouille le bétail en se servant de poulies, de cordes et de leviers et comment on rase les porcs au moyen de pinces et de lames rotatives. »

Siegfried Giedion, « Mécanisation et substance organique. La mécanisation et la mort : la viande »,
dans : La mécanisation au pouvoir [1948], Paris, Centre Pompidou, 1980, p. 98

La mécanisation au pouvoir
  • Division du travail → perte de la vue globale
  • Meilleures conditions de vie → nouvelles dépendances
  • Incapacité à nous organiser, « nouvelle barbarie »
  • « Peur du progrès qui, d’un espoir, est devenu une menace »
  • Nécessité de trouver un nouvel équilibre
  • Contradiction entre la fascination pour le progrès technique et la conscience des dangers qu’il recèle
  • Décalage entre les objectifs (changer durablement le monde, abolir les classes sociales, apporter le bonheur à tous, pallier aux injustices, etc.) et la complexité du réel
  • Caractère uniformisant et dangers de la mécanisation pointés par Siegfried Giedion

3.2 —
Critique de la société de consommation

« Bauhaus, Ulm, chacune a construit de nouvelles approches du progrès : utopique pour sa part, réelle pour l’autre : utopie sociale de l’apport du « Gesamtkunstwerk » pour l’une et utopie économique de la bonne consommation et technicisation des processus pour l’autre, réalité de la standardisation globale et mondiale des constructions, du confort et des objets, synthèse industrielle efficace pour une société de consommation aujourd’hui problématique… »

Catherine Geel, « Du modèle à la modélisation », Azimuts, no 33, 2009

« Ce que je trouve formidable dans ce pays est que l’Amérique a inauguré une tradition où les plus riches consommateurs achètent en fait les mêmes choses que les plus pauvres. On peut regarder la télé et voir Coca-Cola, et on sait que le Président boit du Coca, que Liz Taylor boit du Coca et, rendez-vous compte, vous aussi vous pouvez boire du Coca. Un Coca est toujours un Coca, et même avec beaucoup d’argent, on ne pourra jamais acheter un meilleur Coca que celui que boit le clochard du coin. Tous les Coca sont pareils et tous les Coca sont bons. Liz Taylor le sait, le Président le sait, le clochard le sait et vous le savez. »

Andy Warhol, Ma Philosophie de A à B et vice versa, 1975

Travail de Raymond Loewy pour Coca Cola, publicité de 1949

« Les objets en particulier n’épuisent pas leur sens dans leur matérialité et leur fonction pratique. Leur diffusion au gré des finalités de la production, la ventilation incohérente des besoins dans le monde des objets, leur sujétion aux consignes versatiles de la mode : tout cela, apparent, ne doit pas nous cacher que les objets tendent à se constituer en un système cohérent de signes, à partir duquel seulement peut s'élaborer un concept de la consommation. C’est la logique et la stratégie de ce système d’objets, où se noue une complicité profonde entre les investissements psychologiques et les impératifs sociaux de prestige, entre les mécanismes projectifs et le jeu complexe des modèles et des séries, qui sont analysées ici. »

Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968, résumé de l’auteur

Jean Baudrillard, « Le mythe fonctionnaliste », dans : Le système des objets

Jean Baudrillard, La société de consommation
  • Définition de la consommation comme échange de signes
  • La consommation n’est pas satisfaire des besoins mais se différencier
  • Production de différences catégorisées dans des modèles
  • Lien entre les objets et le désir, consommation des relations humaines

« Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l’occupation totale de la vie sociale. Non seulement le rapport à la marchandise est visible, mais on ne voit plus que lui : le monde que l’on voit est son monde. La production économique moderne étend sa dictature extensivement et intensivement. […] L’espace social est envahi par une superposition continue de couches géologiques de marchandises. À ce point de la ‹ deuxième révolution industrielle ›, la consommation aliénée devient pour les masses un devoir supplémentaire à la production aliénée. C’est tout le travail vendu d’une société qui devient globalement la marchandise totale dont le cycle doit se poursuivre. »

Guy Debord, La société du spectacle, 1967

« Un nouveau grand cycle historique du capitalisme artiste se met en place au cours des trois décennies qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale [, qui] correspond au moment où se développe ce qu’on a appelé ‹ la société de consommation de masse ›, laquelle voit une forte et rapide poussée du pouvoir d’achat des ménages, la diffusion des biens de consommation […] dans presque tous les groupes sociaux, la démocratisation du confort et des loisirs, la croissance du revenu [des] masses, la possibilité de consacrer une partie de ses dépenses à acheter ce qui plaît et pas seulement ce dont on a impérativement besoin. »

Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013, p. 174

« L’ironie est que le capitalisme a réussi, par la suite, à faire entrer le fonctionnalisme lui-même dans l’orbite de ce qu’il diabolisait initialement. S’est développé en effet un fonctionnalisme séducteur des consommateurs. De fait, il a moins joué un rôle moral (les ‹ vrais › besoins) qu’un rôle économique au service de la stimulation des marchés, de l’exacerbation des besoins et de la rentabilité des entreprises. Avec le capitalisme artiste, le design industriel est devenu un élément de la société et de l’économie de séduction. »

Gilles Lipovetsky, Jean Serroy, L’esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste, Paris, Gallimard, 2013, p. 159-170

4 –
Réinventer le design au crépuscule du modernisme

  • Problématique « universalisme » du mouvement moderne
  • Valeurs morales VS multiplication des marchandises
  • Nécessité de réinventer un design en crise

4.1 —
Les mouvements radicaux italiens

Alexandra Midal, Design by Accident. For a New History of Design, Berlin, Sternberg, 2020

4.3 —
Victor Papanek,
« Design pour un monde réel »

Victor Papanek, Design pour un monde réel. Écologie humaine et changement social [1971],
éd. établie par Alison J. Clarke et Emanuele Quinz, trad. de l’anglais (États-Unis) par Robert Louit
et Nelly Josset, Dijon, Presses du réel, 2021

« [Le livre] traite de la conception pour les personnes âgées, handicapées, pauvres, aveugles, sourdes, les grosses, gauchères, et les femmes enceintes ; des jouets et des environnements scolaires pour les enfants ; des instruments médicaux et des équipements hospitaliers ; des besoins du tiers monde ; en bref, le livre traite de tout ce que l’industrie et les designers actuellement au service de l’industrie ont commodément oublié. Il traite de la manière de mettre le design à la portée de tous et d’impliquer directement les […] les gens ordinaires dans des groupes de conception interdisciplinaires[…]. Il traite des effets politiques, sociaux, écologiques et environnementaux du design, et des responsabilités qui en découlent pour les équipes de design. »

Victor Papanek, « Reply to [Guy] Bonsiepe’s Book Review », 1974

5 –
De nouvelles critiques
faites au design

De nouvelles critiques faites au design
  • Décolonisation
  • Justice sociale (discriminations de genre, de race, etc.)
  • Économie de l’attention

5.1 —
Mise à mal de la visée universaliste
du design moderniste

Futuress.org : « Feminist platform for design politics »

Anja Kaiser, Rebecca Stephany, Glossary of Undisciplined Design, Berlin, Spector Books, 2021 + site Web

5.2 —
Décadence de la force
subversive du design

Geert Lovink, Sad by Design. On Platform Nihilism, Londres, Pluto, coll. « Digital Barricades », 2019

Geert Lovink, Made in China, Designed in California, Criticised in Europe: Amsterdam Design Manifesto,
Institute of Network Cultures, 2019

« In the past, design was an aesthetic additive to technological products. Now, design thinking is the instigation of change. We have more than enough chairs, clothes, and stuff in our lives. […] Even for indisputable polluters, it’s never too late to mend their ways. […] New generations scrutinize the faults of the previous ones, and there’s always something to design. Forever design! »

Geert Lovink, Made in China, Designed in California, Criticised in Europe: Amsterdam Design Manifesto,
Institute of Network Cultures, 2019

Silvio Lorusso, Entreprecariat, Eindhoven, Onomatopee, 2019

Silvio Lorusso, « No Problem: Design School as Promise », D&D: Design and Disillusion, décembre 2020

« Variable manipulation is so radical that one variable might take the place of the other. As Giampietro pointed out, in certain design contexts “research […] is not only an analytic method but also a cultural product unto itself”. The School presents research as the very artifact that is offered to the public. However, it rarely clarifies what research actually means, who this public is and how it is going to consume such research. […] Instead of the socially-oriented “double commission” (the client and the public), we end up with “zero commission”: no public and no client. »

Silvio Lorusso, « No Problem: Design School as Promise », Entreprecariat, décembre 2020

Silvio Lorusso, « OW #4: "Design and Power - Part 1 », Other Worlds, newsletter, octobre 2021

Geert Lovink & Silvio Lorusso
  • Réduction du design à un adjuvant esthétique et/ou à une force de vente
  • Vision débusée du design contemporain
  • Invisibilité de la violence technologique
  • Engouement pour l’égoïsme et le narcissisme
  • Critique comme bien de consommation décontextualisé

5.3 —
Dilution et dépolitisation du terme « design » dans les environnements numériques

Natasha Dow Schüll, Addiction by Design. Machine gambling in Las Vegas, 2012

Eshan Shah Jahan, « The Rise of the UX Torturer », Medium, juillet 2014

Eshan Shah Jahan, « The Rise of the UX Torturer », Medium, juillet 2014

Hubert Guillaud, « Répondre au design de nos vulnérabilités »

Le blues des GAFAM
  • Tristan Harris (Google) : « Comment la technologie pirate l’esprit des gens »
  • Sean Parker (Facebook) : « God only knows what it’s doing to our children’s brains »
  • Justin Rosenstein (Facebook) : « Our minds can be hijacked »
  • Marc Benioff (Salesforce) : « Facebook should be regulated like cigarette industry »

« When a company is filled with engineers, it turns to engineering to solve problems. Reduce each decision to a simple logic problem. Remove all subjectivity and just look at the data. […] And that data eventually becomes a crutch for every decision, paralyzing the company and preventing it from making any daring design decisions. Yes, it’s true that a team at Google couldn’t decide between two blues, so they’re testing 41 shades between each blue to see which one performs better. […] I’ve grown tired of debating such minuscule design decisions. There are more exciting design problems in this world to tackle. »

Douglas Bowman, « Goodbye, Google », mars 2009

Vers un business de la morale anti-addiction ?
Tristan Harris, Time Well Spent, 2016–

Limites du « Time Well Spent »
  • Sortir de la notion de dépense (« spent »)
  • « La technologie » VS les décisionnaires de celle-ci
  • Risque de dégoûter les gens du monde dans lequel ils vivent
  • Vers une approche « solutionniste » ? (Evgeny Morozov)
  • Même champ lexical tech

« L’histoire du design UX est, jusqu’à très récemment, l’histoire du design définie par d’autres domaines. Notre domaine a d’abord été défini par les ingénieurs car, soyons honnêtes, ce sont eux qui ont inventé Internet. Et leur définition du design – des gens avec des bonnets cools qui mettent des couleurs partout – est encore largement acceptée par une grande majorité des designers. C’est la voie de la facilité. […] Nous avons passé les vingt dernières années à prouver notre légitimité aux ingénieurs qui pensaient que nous étions une perte de temps. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que nous pouvions amplifier leur puissance de façon exponentielle. »

Mike Monteiro, « Design’s Lost Generation », Medium, février 2018

« Un·e designer est avant tout un être humain ;
Un·e designer est responsable de ce qu’il/elle fait au monde ;
Un·e designer valorise les conséquences plutôt que la forme ;
Un·e designer doit à ceux qui l’emploient non seulement son travail mais aussi des conseils ;
Un·e designer se réjouit des critiques ;
Un·e designer s’efforce de connaître son public ;
Un·e designer ne croit pas aux cas marginaux ;
Un·e designer fait partie d’une communauté professionnelle ;
Un·e designer croit à un design diversifié et compétitif ;
Un·e designer a besoin de temps pour réfléchir. »

Mike Monteiro, « A Designer’s Code of Ethics », Medium, juillet 2017

5.4 —
Design éthique ou
design non éthique ?

Designers éthiques, « Le guide d’éco-conception de services numériques », mars 2021

Design non éthique, compte Twitter anonyme, 2017

Cade Diehm, « Design Ethics? No Thanks! », IxDA Budapest, 2020

Cade Diehm, « On Weaponised Design », Tactical Tech, 2018

IV —
Repenser la notion
de responsabilité

« Le dilemme est le suivant : d’une part la justification par la seule bonne intention revient à retrancher de la sphère de la responsabilité les effets secondaires du moment qu’on choisit de les ignorer […] . D’autre part, la prise en charge de toutes les conséquences, y compris les plus contraires à l’intention initiale, aboutit à rendre l’agent humain responsable de tout de façon indiscriminée, autant dire responsable de rien dont il puisse assumer la charge. »

Paul Ricœur, « Le concept de responsabilité, essai d’analyse sémantique »,
dans : Le Juste, Paris, Esprit, 1994, p. 66

« Il existe quelque chose comme la responsabilité pour des choses qu’on n’a pas accomplies ; on peut en être tenu responsable [liable]. Mais on n’est ni ne se sent coupable de choses qui se sont produites si on n’y a pas activement participé. C’est un point important, qu’il convient d’énoncer haut et fort au moment où tant de bons libéraux blancs avouent ressentir des sentiments de culpabilité à propos de la question noire. […] Si nous sommes tous coupables, personne ne l’est. La culpabilité, à la différence de la responsabilité, singularise toujours ; elle est toujours strictement personnelle. Elle renvoie à un acte, pas à des intentions ou des potentialités. »

Hannah Arendt, Responsabilité et Jugement [1961], Paris, Payot, 2005, p. 199

« [Pour Hannah] Arendt […], ce sont les qualités politiques qui constituent les conditions existentielles les plus fondamentales de l’humanité. En ce sens, repenser l’action et la responsabilité humaines à l’égard du monde contemporain post-totalitaire implique de repenser [l’humain] en tant qu’être inscrit dans ce monde et porteur d’une responsabilité vis-à-vis de lui : tel est le sens ‹ politique › de sa responsabilité – laquelle ne se confond, à cet égard, ni avec la responsabilité morale, ni avec la responsabilité juridique. »

Jean-Claude Poizat, « Assumer l’humanité, Hannah Arendt : la responsabilité face à la pluralité de Gérôme Truc », Le Philosophoire, vol. 31, no 1, 2009, p. 177-188

Responsabilité ? (reprise des questions initiales)
  • Parle-t-on d’une responsabilité juridique, sociale, morale, ou politique ?
  • La responsabilité est-elle individuelle ou collective ?
  • La notion de responsabilité n’est-elle pas corrélée aux progrès techniques ?
Responsabilité ?
  • Objectiver / Conscientiser / Assumer
  • Anticiper et nommer les conséquences
  • Dynamique collective de l’éthique (pas de modélisation a priori, ou « by design »)
Responsabilité du design : pistes de travail
  • Anthologie de textes sur la notion de responsabilité dans le champ du design
  • Mise en relation de projets et de textes issus d’un corpus philosophique
    (ex. : Paul Ricœur + bancs RATP « anti SDF »)
  • Étude de cas de projets avec différentes strates de responsabilité
    (juridique, sociale, morale, politique)

V —
Design de la responsabilité

Design de la responsabilité : problématiques
  • Dans un monde de plus en plus complexe et inintelligible (notamment en raison des strates numériques), comment maintenir un sens du monde commun et permettre une prise de décision éclairée ?
  • Comment pondérer la réduction des citoyen·nes en consommateur·trices et/ou utilisateur·trices ?

Design de la responsabilité : champs d’action
  • Droit (legal design)
    (réglementations, procès)
  • Banques
    (placements, gouvernance)
  • Démocratie représentative
    (programmes politiques, élections, délégation de responsabilité)
  • Systèmes techniques complexes
    (machine learning, technologies blockchain)
  • Écologie
    (modèle circulaire, penser par le milieu, écologie de l’attention)

VI —
Conclusion

Discussion —
« Design is the answer, but what was the question? Le design et l’art à l’épreuve de la crise de la modernité »

6.1 —
Le design comme solution
ou comme problématisation ?

« Notre travail respectif diffère, mais [dans le design] nous partageons le sentiment que le métier d’architecte est un moyen, et non une fin. À bien y regarder, ce n’est pas le design qui se trouve au cœur de nos bataille, mais bien le destin de l’homme face à la civilisation industrielle. Ce qui nous intéresse, c’est l’espoir de réaliser, avec des techniques de pointe ou non, des projets qui puissent, dans tous les cas, enrichir le sens de l’existence humaine. »

Andrea Branzi, « La qualité formelle du monde », dans : Collectif, Ettore Sottsass, Paris, Centre Georges Pompidou, 1994, p. 12

« Ce modèle [italien] fait référence à un design qui ne correspond pas à une fonction industrielle se limitant à la résolution de problèmes de production, mais à une activité stratégique, à une culture civile, impliquée dans le changement de l’histoire et donc capable, à travers le projet, de fournir à la grande industrie une identité à l’intérieur de la société. De façon prophétique, Ettore [Sottsass] voit une industrie ouverte qui ne cherche pas à intégrer la société ou la culture, mais qui, au contraire, tend à s’insérer dans leur mailles afin d’être un moteur permanent de développement. »

Andrea Branzi, « La qualité formelle du monde », dans : Collectif, Ettore Sottsass, Paris, Centre Georges Pompidou, 1994, p. 27

6.2 —
Le design comme économie ou
comme ouverture des techniques ?

« Je ne proposerai pas d’appeler design ce qui organise d’avance des usages ni ce qui induit des consommations ni ce qui assigne des comportements au règne de la marchandise, mais plutôt certaines recherches et attitudes qui permettent à un système de production d’hésiter. Le design m’apparaît ainsi comme une polarité possible, mais non nécessaire, de la production, à côté de ces autres polarités, plus inévitables semble-t-il, qui font que les objets doivent valoir pour l’usage et/ou le marché. »

Pierre-Damien Huyghe, « Design et existence », 2005

« La réduction des possibles dans une époque donnée et l’uniformisation résultante des effets n’appartiennent […] pas par principe à la technique, mais à son économie. Une telle économie laisse de côté, dans le registre d’une puissance peu réalisée, tout un appareillage, tout un exercice de la technicité. Elle ne va pas sans réserve. C’est justement à la quête de cette sorte de réserve, et à son expression formelle, que le design historique s’est voué quitte à mettre pour cela au monde des produits d’exception déliés des pratiques de masse a contrario recherchées par le mode économique d’exploitation et de domination de la puissance productive. »

Pierre-Damien Huyghe, « De la mécanisation au design », Azimuts, no 39, « Animal », ESADSE / Cité du Design, 2013, p. 149–176

6.3 —
Crises de la (post)modernité
ou crise du modernisme ?

« Dans cette circonstance, la question est de savoir si le design tient encore à sa formule historique ou si au contraire il est voué […] à se fonder sur de nouveaux principes, à se faire comme jamais auxiliaire de mœurs économiquement déterminées. »

Pierre-Damien Huyghe, « De la mécanisation au design », Azimuts, no 39, « Animal », ESADSE / Cité du Design, 2013, p. 149–176

« Design is the answer, but what was the question?
Le design et l’art à l’épreuve de la crise de la modernité »
  • Le design comme solution ou comme problématisation ?
  • Le design comme économie ou comme ouverture des techniques ?
  • Crises de la (post)modernité ou crise du modernisme ?

@AnthonyMasure
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Police de caractères : Token Family (Phantom Foundry × FutureFonts, 2020–2021)

Décembre 2021