Anthony Masure (responsable de la recherche, HEAD – Genève, HES-SO)
Colloque « Le champ du signe », dir. Simon Renaud
ESAD Amiens, 19 avril 2021
En raison de leur efficacité et rentabilité, les intelligences artificielles (IA) « neuronales » trouvent leur place dans les industries créatives depuis plusieurs années. Si les technologies du deep learning sont la plupart du temps envisagées sous l’angle de l’automatisation, nous proposons de les considérer également sous l’angle du concept de mécanisation pour souligner la possibilité d’un travail « avec » les machines plutôt qu’un abandon de leurs potentialités aux forces économiques. En quoi le design pourrait-il contribuer à désamorcer la culture dominante de l’IA ? Comment faire en sorte que les technologies du deep learning puissent ouvrir à l’invention et à la curiosité ? En quoi les cursus de design pourraient-ils (ou devraient-ils) faire l’objet de reconfigurations ?
Comment les technologies du deep learning sont-elles investies dans les champs de l’art et du design ?
Comment l’histoire de l’art peut-elle aider à comprendre les façons de faire dominantes des intelligences simulées ?
Hiérarchie des genres → Idéal du progrès technique
Supériorité du dessin sur la couleur → Vectorisation du monde
Travail en atelier → Cloud computing
Imitation des classiques → Remix de jeux de données
Effacement de la touche → Haute résolution
On peut observer un écart temporel entre la photographie comme invention technique, et la photographie comme art, qui naît d’une divergence avec le modèle pictural.
L’acceptation d’un monde façonné par les IA se pose moins en termes de remplacement (remplacement de l’humain par la machine) qu’en termes de recouvrement : un environnement dans lequel on ne pourrait pas distinguer ce qui est produit, ou non, avec les IA.
La mécanisation (ou industrialisation) renvoie habituellement à une efficacité et une performance débarrassées des aléas humains.
C’est dans cette perspective que s’inscrit le livre de Siegfried Giedion La mécanisation au pouvoir (Mechanization Takes Command, 1948), dans lequel il analyse plusieurs moyens d’optimiser le labeur humain.
« Pour [Walter] Benjamin, il ne s’agit pas de se résoudre mélancoliquement au sacrifice, mais de trouver ce que peut être le progrès de l’art, ou sa marche, sa méthode, avec l’industrie. Art et industrie devront aller ensemble, sans se sacrifier ni l’un ni l’autre et sans se sacrifier l’un à l’autre. C’est donc le rapport de service de l’industrie (ou de la photographie) à l’art qui fait l’objet de la critique de [Walter] Benjamin. »
« Il n’y a pas de science de l’art. Et c’est dans ce manque que nous sommes. Aurons-nous un espace de repli où nous réfugier ? Un tel espace, pour être refuge, doit être prêt d’avance. D’où l’envie, à nouveau, de ce qui a déjà donné des signes sûrs et rassurants de présence : le théâtre, la peinture classique, les espaces démarqués, optiques, spéculatifs, spectaculaires. Pourtant cette configuration, très renaissante, a cessé de faire effet. Elle ne compte plus que réactivement, dans la fuite et dans la peur. »
« Dans le monde de la mécanisation, qu’il s’agisse de travailler ou de seulement consommer, l’uniformisation du temps est une affaire. Ce monde est dans la constance des cadences, de l’égal, du répétitif. Ce qu’il produit d’une manière inédite, c’est l’uniformité. Ainsi l’abondance de la société industrialisée est-elle en profondeur, et même si elle s’en défend, hantée par le risque de la monotonie. »
« Notre industrie doit former des designers au lieu de former des artisans car nos artisans, ce sont les machines, des artisans tout prêts, efficaces, dociles. Sur ce point le pouvoir mécanique a fait table rase. Comment obtenir de ces impressionnantes ‹ machines / artisans › ce qu’elle peuvent faire de mieux ? Puis, au-delà du savoir-faire mécanique, comment trouver les rythmes de la forme ? »
« This invisible classification process is usually intended to produce automated decisions, which can have profound consequences for individual and collective freedom. The possible benefits of machine learning are many, but we run the risk of developing technologies of such complexity that our abilities to shape them to serve the common good are severely limited. »
« Si je ne peux pas traduire, je ne peux pas comparer. […] Il est très facile de traduire un traité de chimie, de l’anglais en français, mais traduire un poème de Li Tai Po en français est presque impossible, traduire Mozart en architecture est un grand problème. […] Peut-être lorsque la science des codes aura fait des progrès plus grands, on pourra faire des familles de codes. Peut-être trouvera-t-on des codes qui peuvent être traduits et d’autres qui ne le peuvent pas. Si on fait un tel catalogue, on comprendra beaucoup de choses sur la situation humaine. […] C’est une théorie pour les temps nouveaux. C’est un champ d’engagement très grand, parce qu’il ne s’agit pas seulement de traduire de l’anglais en français, il s’agit, par exemple, de traduire Marx en Freud, ou Freud en catholicisme, ou le catholicisme en néopositivisme. C’est là le vrai jeu. Vous voyez où nous allons si nous commençons à penser en termes de codes. Nous allons vraiment vers une autre culture […]. »
« Il s’agit de penser la technique comme un système devant lequel il faut ne jamais baisser pavillon et savoir rester critique, mais aussi comme une gigantesque mine de ressources et de potentialités. C’est là qu’il faut puiser pour imaginer de nouvelles qualités. »
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Licence (textes) : CC BY-SA
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Polices de caractères
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