Anthony Masure (responsable de la recherche, HEAD – Genève), Cerisy-la-Salle, 27 septembre 2020
Colloque scientique « Angles morts du numérique. Limites de la programmation », 24–30 septembre 2020
Organisation : Yves Citton, Francis Jutand, Marie Lechner, Anthony Masure, Vanessa Nurock, Olivier Lecointe
L’histoire du design est indissociable des révolutions industrielles. Les expositions universelles sont les lieux où s’ancrent ces profondes transformations. Dès la première exposition universelle (Great Exhibition of the Works of Industry of All Nations, Londres, 1851), les gouvernant·e·s s’aperçoivent que derrière l’enjeu technologique se profile une vitrine politique.
« Le grand principe de la division du travail, que je ne crains pas d’appeler la force motrice de la civilisation, s’étend à toutes les branches de la science, de l’industrie et de l’art. […] Les distances qui séparaient les peuples et les contrées de la Terre s’évanouissent chaque jour devant la puissance de l’esprit d’invention. »
La première exposition universelle se tient à Londres en 1851. Pour cette occasion, le Crystal Palace est construit en six mois seulement grâce à l’emploi d’unités modulaires standardisées, préfabriquées en usine et montées sur place, introduisant une nouvelle façon de concevoir et de bâtir. Le bâtiment est gigantesque : 563 mètres de long sur 263 de large, pour une surface de 92 000 m2. Il marque durablement les esprits et devient rapidement un modèle, préfigurant toute la production d’architecture de métal et de verre et la préfabrication du XXe siècle.
« [les organisateurs des expositions universelles espéraient] que la machine permettrait d’alléger le travail, de multiplier les richesses et d’améliorer la vie de tous, d’apporter la paix et la fraternité entre les nations. [Mais] en plus de substituer au style et à l’ornementation artisanale celui de la machine […], les produits standardisés européens favorisent surtout le passé, l’ostentatoire, le goût bourgeois et l’imitation, telle cette cruche à eau ornementée dont l’anse associe une colonnade et des animaux… »
Le design serait ainsi ce qui éclaire des angles morts de l’industrie pour révéler des dimensions mises de côté par l’économie : chercher ce qui, dans l’industrie, nécessite d’être investi et réorienté
« Plus un métier est ancien, plus sa mémoire paralyse l’imagination du designer. Il est plus simple de concevoir un nouveau produit qui soit fondé sur les dernières découvertes scientifiques et techniques que […] de tenter de réinventer d'autres modes de fabrication et des formes nouvelles dans le domaine d’un artisanat très ancien comme la poterie. »
« Le ‹ design › d’un produit n’est donc aujourd’hui trop souvent qu’un ‹ habillage › simplement destiné à accélérer la vente. Sa caractéristique essentielle est d’être ‹ différent ›, même si la fonction du produit reste inchangée. La tâche du designer consiste à donner un ‹ style › ou une ‹ ligne › à un produit déjà connu et à changer ce design aussi souvent que possible, cela pour le plus grand bénéfice du vendeur. »
« Chaque matériau demande en effet la même démarche: il s’agit avant tout d’en comprendre les propriétés et par là même de déterminer l’utilisation spécifique qui peut en être faite. Il en découle que certaine formes, justifiées et valables dans un matériau donné, ne peuvent être transposées de façon satisfaisante dans un autre matériau, même si la fonction de l'objet reste identique. »
« Finalement le grand problème qui se pose au design est qu’il doit servir la vie. »
« Une vie devient une existence dans la mesure où elle est concernée par ce qui n’est pas écrit d’avance. À la différence du simple vivant l’être qui existe n’est pas un être programmé. Si cette idée est juste, comment le design pourra-t-il nous aider à exister ? »
« Je ne proposerai pas d’appeler design ce qui organise d’avance des usages ni ce qui induit des consommations ni ce qui assigne des comportements au règne de la marchandise, mais plutôt certaines recherches et attitudes qui permettent à un système de production d’hésiter. Le design m’apparaît ainsi comme une polarité possible, mais non nécessaire, de la production, à côté de ces autres polarités, plus inévitables semble-t-il, qui font que les objets doivent valoir pour l’usage et/ou le marché. »
Quels sont les angles morts du numérique que le design permet d’éclairer ? À quels problèmes les technologies numériques sont-elles aveugles ? En quoi les choix – ou non choix (biais) – de conception déterminent-ils une voie dont il est difficile de bifurquer ?
Un template (gabarit), est un modèle de mise en page de contenus visuels. Les templates sont beaucoup utilisés dans les sites Web, notamment dans les CMS (systèmes de gestion de contenus). Les technologies numériques, et le Web notamment, ont démultiplié les gabarits, et cet effet de seuil engendre des conséquences singulières.
Se doter sans efforts (frictionless) de compétences propres au design graphique pour viser un rendement communicationnel / économique
La promesse de singularité bute sur une homogénéisation du réel et engendre une
« globalisation esthétique »
« Les modèles (templates) et exemples que l’utilisateur peut éditer pour créer ses propres documents – tels que ‹ fax élégant ›, ‹ fax contemporain ›, ‹ lettre formelle › ou ‹ mémo › – attestent que la falsification est la forme de base du document produit dans les bureaux contemporains. »
Malgré la pauvreté des templates, ces derniers tendent à surpasser beaucoup de designers. Quelle est, dès lors, la valeur de ces derniers ?
« Il est difficile de distinguer le designer assisté par ordinateur de l’ordinateur assisté par un designer. […] Les designers du monde entier travaillent tous sous la direction du même directeur artistique, dont le nom [Adobe] commence par un A écarlate. […] Les designers ne définissent plus la culture ; ils doivent se conformer à une culture définie par les évangélistes des technologies. Dans son essai Digital Design Media (1991), le professeur d”architecture William Mitchell formule la conclusion logique de cette situation difficile : ‹ Nous sommes très proches du point où le designer moyen n’a plus rien à vendre qui vaille la peine d’être acheté ›. »
– Avérer la standardisation du visible
– Révéler les valeurs embarquées dans les interfaces
– Simplifier les démarches administratives
– Réduire les dépenses publiques
– Commander le monde extérieur
– « Phobie administrative »
– Le « système » devient « enchevètrement »
– Discriminations
– Production de dividus
– Design de documents – Inclusion et lutte contre les discriminations – Vocabulaire administratif comme matière artistique
– Fluidité, naturalité, transparence
– Augmentation de la complexité logicielle
– Révéler les couches programmatiques
– Introduire de la friction dans les systèmes techniques
Le design comme bifurcation des techniques
… mais il reste encore du travail !
Présentation réalisée avec Reveal.js, MIT License
Licence des textes : CC BY–SA
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Polices de caractères (variable fonts) :
Roslindale Display & Roslindale Deck, David Jonathan Ross × Font of the Month Club, 2020
Macklin & Macklin Sans, Malou Verlomme × Monotype, 2020