@AnthonyMasure

Maître de conférences en design, université Toulouse – Jean Jaurès, LLA-CRÉATIS


Design du vivant et bioéthique : vers un intelligent design ?

Journée d’étude « Health & Care Technologies », Costech & BMBI, UTC Compiègne, 19 juin 2019

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« Everything that has transpired has done so according to my design »
L'empereur Palpatine alias Dark Sidious 👽 dans Star Wars, épisode VI, 1983

« Everything that has transpired has done so according to my design » (« Tout se passe à présent comme je l’avais prévu ») : une compréhension du mot design, en anglais, comme ce qui s’accorde parfaitement à un plan ⚙️

💬 Connotation possiblement négative du mot design en anglais
L’Empereur Palpatine (joué par Ian McDiarmid) VS Dark Sidious

👴🏻

Vilém Flusser (1920–1991), « communicologue »

Vilém Flusser, Petite philosophie du design [1993],
trad. de l’allemand par Claude Maillard, Belval, Circé, 2002

Vilém Flusser, Petite philosophie du design [1993], Paris, Circé, 2002

« En anglais, ce mot [design] est tout à la fois un substantif et un verbe – détail qui caractérise bien, de façon générale, l’esprit de la langue anglaise. En tant que substantif, il signifie entre autres choses ‹ projet, plan, dessein, intention, objectif ›, mais aussi ‹ mauvaise intention, conspiration ›, ainsi que ‹ forme, configuration, structure fondamentale ›, toutes ces significations et d'autres encore étant liées aux idées de ‹ ruse › et de ‹ perfidie ›. En tant que verbe – to design – il veut dire notamment ‹ manigancer, simuler, ébaucher, esquisser, donner forme ›, et ‹ procéder de façon stratégique ›. »

Vilém Flusser, « Les bases. Le mot design », dans : Petite philosophie du design, trad. de l’allemand par Claude Maillard, Paris, Circé, 2002, p. 7

« Mais qui donc alors devrait être rendu responsable du fait qu’un robot en vient à tuer ? Le constructeur du robot, du couteau, ou bien celui qui a programmé le robot ? Ne serait-il pas possible aussi d’imputer la responsabilité morale à une erreur de conception, de programmation ou de fabrication ? Et qu’en serait-il si cette responsabilité était mise à la charge du secteur industriel qui produit les robots ? Ou bien encore du […] système dont ce complexe fait partie ? En d’autres termes, si les concepteurs, les designers, ne débattent pas de ces questions, il peut en résulter une irresponsabilité totale. »

Vilém Flusser, « The Lever Strikes Back » [« Le levier contre-attaque »], conférence à la Design Academy Eindhoven du 20 avril 1991, éditée dans les actes du colloque sous le titre « Ethics in industrial design? ».
Version française : « L’industrie du design renferme-t-elle une éthique ? », dans : Petite philosophie du design [recueil posthume, autre version du texte], trad. de l’allemand par Claude Maillard, Paris, Circé, 2002, p. 26-27.

Vilém Flusser, « The Lever Strikes Back » [« Le levier contre-attaque »], conférence à la Design Academy Eindhoven du 20 avril 1991, éditée dans les actes du colloque sous le titre « Ethics in industrial design? ».

« But the question about ethics in industrial design, about the moral and political responsability of the designer, has become valid (and even urgent) in the present situation. »

Vilém Flusser, « The Lever Strikes Back », 1991, éditée dans les actes du colloque sous le titre « Ethics in industrial design? »

Vilém Flusser
  • Compréhension négative du champ du design 🔪
  • Dilution voire disparition de la notion de responsabilité 🤯
  • Automatisation ⚙️ et robotisation 🤖 du vivant 🐄

🗺️

Michael Hanke, « Vilém Flusser’s Philosophy of Design: Sketching the Outlines and Mapping the Sources », Flusser Studies, no 21, « Astúcias do Design », dir. Lucia Santaella, juin 2016

Attention !
  • Les articles et conférences 📃 de Flusser 👴🏻 ont donné lieu à des formes éditoriales mal documentées, voire mal traduites.
  • Quand nous lisons 🕮 Flusser en français, de quel « design » parlons-nous ?
  • De façon plus large, qu’est-ce que ces errances de traduction nous disent d’une possible incompréhension 🧐, en français, du mot design ?
Lost in translation?
  • Design (english)
    Selon Flusser : planification, programmation, ruse, perfidie
  • Design (français)
    Mélange en entre le disegno italien, le « dessein » de L’Encyclopédie, et la réception anglaise du mot design, le tout dans un héritage complexe aux arts décoratifs et aux arts appliqués

🔎

Design est un anglicisme qui apparaît en France à la fin des années 1950 à partir d’un seul des trois sens du mot anglais design – puisque ce terme renvoie pour le Cambridge dictionary à trois définitions qui sont précisément celles du dessein du XIIIe siècle :

  • Le plan d’un projet (au sens technique du terme) ✍️
  • L’intention (volonté considérée par rapport à un but) 💡
  • Le motif (élément d’ordre mental qui incite à agir) 💭

Bruno Remaury, « Les usages culturels du mot design », dans : Le design. Essai sur des théories et des pratiques, Paris, IFM, 2006, p. 99-102

Design ?
  • Une pratique en filiation avec l’art 🖍️ et l’architecture 🏠, née d’une tension avec l’industrie et le capitalisme
  • Une dimension critique voire subversive 💥 inhérente à son apparition, que semble ignorer Flusser
  • Nécessité de dépasser le design comme simple exécution d’un plan (Dark Sidious), à savoir remettre en cause l’opposition entre conception 🧠 et réalisation 🔨🏭

« L’histoire réelle de cet art [l’architecture] montre que jamais rien n’a été effectivement pré-vu, que rien ne finit par se produire ainsi que voulu par l’architecte défini comme ‹ maître et possesseur › de moyens productifs. […] Un tel manque ne saurait être comblé par un surcroît de prévision, surcroît qui ne pourrait se manifester qu’en supplément d’attention aux scénarios, maquettes, présentations, etc. »

Pierre-Damien Huyghe, Commencer à deux, Paris, Mix, coll. Gris, 2009, p. 56-57

⚗️

Collectif Designers éthiques (2016) et conférence Ethics by design (2017 & 2018)

Ethics & Design ?
  • Parle-t-on vraiment de la même chose quand on dit « design éthique » ou « ethics by design » (sans italique) ?
  • Suppose-t-on que le design serait « non-éthique » par nature ?
  • En quoi l’éthique devrait-elle être réservée aux designers ?

Pierre-Damien Huyghe, « Design, mœurs et morale »,
entretien avec Emmanuel Tibloux, Saint-Étienne, Azimuts, no 30, 2008, 31-41

« [Je] substituerais peut-être, bien qu’il soit d’apparence surannée, le mot « morale » au mot « éthique ». Il me semble que si la commande est inhumaine, la morale conduit à ce que la réponse soit négative. […] Dans la commande de la RATP [de mobilier anti-SDF], il y a une demande générale qu’il faut savoir faire émerger et qui devient quelque chose à quoi on peut répondre globalement. Cela suppose que le designer ne traite pas cette commande comme un spécialiste mais bien comme un humain. »

Pierre-Damien Huyghe, « Design, mœurs et morale », entretien avec Emmanuel Tibloux, Saint-Étienne, Azimuts, no 30, 2008, 31-41

Pierre-Damien Huyghe
  • Réhabiliter le terme de « morale », davantage centré sur des enjeux collectifs ?
  • Notion de « responsabilité partagée » par tous les êtres humain, ne pas l’assigner à tel ou tel champ
  • Transformer la commande en une demande

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Le design du vivant ?
  • Tension entre la planification du sens anglais du mot design et la fatale complexité et évolutivité du vivant
  • Pour les designers, traiter le vivant comme une matière (in)formable ne pas de soi
  • Différence entre vie et existence (Pierre-Damien Huyghe, László Moholy-Nagy)
Vers un intelligent design ?
  • Risque que la planification occulte les dimensions critiques
  • Simple imitation d’un existant ou exploration de « conduites techniques » ?
  • Risque d’un déterminisme technique et d’une causalité démiurgique absolue (intelligent design), non négociée collectivement : renversons Dark Sidious !

@AnthonyMasure
www.anthonymasure.com

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